Nov
2019

CONVENTION DE FORFAIT JOURS – LA JURISPRUDENCE ET LES BONNES REGLES POUR LES CADRES

À l’occasion d’un litige engagé avant la loi El Khomri, la Cour de cassation a décidé, sans surprise, que la convention individuelle de forfait jours est nulle. Notamment, lorsqu’un accord collectif ne prévoit pas de mesures qui garantissent que l’amplitude et la charge de travail du salarié restent raisonnables et que son temps de travail est bien réparti dans le temps. Même si ces dispositions n’étaient pas en cause dans cette affaire, la loi du 8 août 2016 permet toutefois, dans une certaine mesure, aux employeurs de remédier aux insuffisances d’un accord incomplet.

L’affaire

Un salarié, Directeur d’un établissement, réclamait le paiement d’heures supplémentaires après avoir été licencié pour faute grave en octobre 2014.

Titulaire d’une convention de forfait annuel en jours, il estimait notamment que les dispositions de son contrat de travail étaient irrégulières car :

  • elles ne mentionnaient pas les modalités de décompte des journées ou demi-journées travaillées ;
  • elles prévoyaient 208 jours de travail annuels alors que la convention collective les limitait à 207.

Les dispositions conventionnelles en cause étaient la convention collective des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs du 16 juillet 2003 (art. 9) et l’avenant no° 2 du 21 octobre 2004 relatif à l’aménagement du temps de travail des cadres.

Le cadre juridique de l’affaire

Avant/Après la loi Travail du 8 août 2016

La possibilité de recourir aux forfaits annuels en jour doit être prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement (à défaut, une convention ou un accord de branche) (c. trav. art. L. 3121-63).

La loi El Khomri du 8 août 2016 (dite aussi loi Travail) a réformé les règles régissant les forfaits jours, en renforçant le contenu des accords collectifs et en prévoyant, en l’absence de certaines clauses. Ainsi que des règles supplétives permettant à l’employeur de conclure valablement des conventions individuelles de forfait. La législation nouvelle fixe donc des règles visant, notamment à assurer le suivi de la charge du travail.

En pratique, cette réforme visait à adapter la législation pour intégrer les contraintes imposées par la jurisprudence dans le code du travail, et permettre aux entreprises de pallier elles-mêmes à certaines des insuffisances d’accords collectifs incomplets.

Un litige s’inscrivant dans le cadre de la législation antérieure.

Les accords collectifs conclus avant le 10 août 2016 ne sont valables qu’à condition de satisfaire aux conditions posées par la loi du 8 août 2016 ou, pour des litiges nés avant cette date, aux conditions posées antérieurement par la Cour de cassation.

C’est dans ce contexte, antérieur à la loi du 8 août 2016, que le litige s’inscrit (contentieux engagé avant cette date).

Complétant le code du travail (moins précis avant la loi El Khomri), la Cour de cassation avait exigé des accords, qu’ils contiennent des clauses organisant le suivi de la charge de travail ainsi que des échanges périodiques entre l’employeur et le salarié. Ceci afin d’offrir des garanties en matière de santé et de sécurité et de suivi de la charge de travail.

Il était ainsi exigé que l’accord collectif prévoyant le recours aux forfaits annuels en jours garantisse le respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires (cass. soc. 29 juin 2011, n° 09-71107, BC V n° 181). En pratique, il s’agissait de faire en sorte que l’amplitude et la charge de travail des salariés en forfait jours restent raisonnables (cass. soc. 24 avril 2013, n° 11-28398, BC V n° 117) Et également que des garanties suffisantes en matière de contrôle de la charge de travail existent (cass. soc. 29 juin 2011, n° 09-71107, BC V n° 181 ; cass. soc. 5 octobre 2017, n° 16-23106, BC V n° 173) et que la santé et la sécurité des salariés se trouvent garanties (cass. soc. 17 décembre 2014, n° 13-23230, BC V n° 307).

Compte tenu de cette jurisprudence, le contenu légal de ces accords a été complété par une loi du 8 août 2016 (loi 2016-1088 du 8 août 2016, art. 12-II, JO du 9).

Précisons qu’il n’y avait pas, à l’époque, de dispositions supplétives permettant à l’employeur de conclure des conventions de forfait valables si l’accord collectif était incomplet.

La solution de la Cour de cassation

En l’espèce, la convention collective prévoyait que, pour les directeurs, l’organisation du travail pouvait retenir le forfait en jours dans la limite de 207 jours par an. L’avenant du 21 octobre 2004, sur l’aménagement du temps de travail des cadres, spécifiait que :

  • l’année de la conclusion de la convention de forfait, la hiérarchie devait examiner avec le cadre sa charge de travail et les éventuelles modifications à y apporter, cet entretien faisant l’objet d’un compte rendu visé par le cadre et le supérieur hiérarchique ;
  • les années suivantes, l’amplitude de la journée d’activité et la charge de travail du cadre étaient examinées lors de l’entretien professionnel annuel ;
  • les jours travaillés et les jours de repos devaient faire l’objet d’un décompte mensuel établi par le cadre et visé par son supérieur hiérarchique (décompte conservé 5 ans par l’employeur).

Pour la Cour de cassation, ces dispositions ne prévoyaient pas de suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis. Alors que ce suivi aurait permis à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail incompatible avec une durée raisonnable.

Par conséquent, les mesures fixées par la CCN et son avenant n’étaient de nature, ni à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables, ni à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du cadre en forfait annuel en jours.

En conséquence, la convention de forfait annuel en jours était nulle.

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